Chronique: CHOISIR DE VIVRE au Studio Hébertot

Seule sur scène, Nathalie Mann incarne de façon magistrale, le parcours de Mathilde qui est véritablement née à soixante ans. Dans cet hôpital de Bangkok, elle est à quelques heures d’une opération chirurgicale qui la fera devenir totalement et définitivement femme, non sans souffrance et sans risque.

 

Naître femme par sa volonté

 

En effet, Thierry Daudet ( arrière petit-fils d’Alphonse Daudet) est né, dans les années 50, dans une famille catholique où, très tôt, il aura le sentiment de ne pas être dans le bon corps. Aux yeux de tous, il est un homme,, même s’il vit depuis cinquante ans aux côtés de Mathilde, son double intime, son moi profond, sa véritable identité. Il faut faire en sorte de donner le change. Il faut vivre une vie à l’opposé de ses aspirations. C’est ce à quoi il s’est évertué, il est devenu grand reporter de guerre dans les zones les plus chaudes, s’est marié et a eu quatre enfants.

Il n’y a pas de loi du genre, c’est la société qui les édicte. Selon le sexe auquel on appartient, elle donne un mode d’emploi, même si la nature s’est trompée. Sexe : masculin. Il a donc été élevé par ses parents dans ce genre «  avec tout l’homomorphisme qui va de pair. Les jeux violents, le courage inutile, les risques stupides… toute la panoplie de l’homo erectus me fut apprise, tout le conditionnement et le formatage de mon cerveau allèrent dans ce sens. »

 

Un conflit irréversible

 

Dans un dispositif scénique d’une très grande sobriété, Nathalie Mann témoigne du chemin long et douloureux que Mathilde a dû suivre, pour se libérer de cette prison du corps. Elle nous fait le récit d’une vie passée à chercher l’authenticité de soi-même. Le metteur en scène a fait le choix d’une femme et n’a pas féminisé un acteur pour incarner ce témoignage car dès son apparition, la femme est déjà là. Le tiraillement entre l’esprit et le corps a toujours été présent, ce dont la comédienne, Nathalie Mann, rend compte, de manière bouleversante. Vêtue d’une simple combinaison bleu nuit, elle met son corps au premier plan, elle l’explique. C’est à une véritable lutte qu’elle se livre. Elle passe sans cesse de la défaite à la joie. du bonheur à la souffrance, qui nous sont rendues sensibles grâce aux ruptures de sa voix puissante ou cassée.

 

La seule normalité des hommes, c’est qu’ils sont tous différents

 

Oser changer sa vie en allant au bout d’elle-même. Refuser les compromis, les arrangements. Tels furent les impératifs de Mathilde. Dans un puits de lumière imaginé par le metteur en scène, Franck Berthier, évolue, seule, la comédienne qui incarne toutes les subtilités, toute la complexité mais aussi toute la puissance de cette décision. Elle se roule dans ces sacs qui jonchent le sol, les froisse, s’en habille comme on revêt une robe de mariée…Le décor est fermé par un panneau où semble s’imprimer la croix de sa souffrance, et où défilent d’autres images de la vie de Mathilde. Nous, spectateurs vivons, grâce à Nathalie Mann,. ce long accouchement de Thierry. Certes, cet accouchement fut douloureux et périlleux mais finalement, ce fut un accouchement lumineux.

Ce soir-là, Mathilde Daudet était présente aux côtés de son interprète et du metteur en scène. Elle est née femme à soixante ans, par sa seule volonté. Elle a obtenu de l’identité civile le fameux  » 2  » qui témoigne de l’appartenance au sexe féminin et l’heureux aboutissement d’une vie passée à chercher l’authenticité de soi-même.

 

UN TEMOIGNAGE BOULEVERSANT PORTE PAR UNE TRES GRANDE COMEDIENNE

 

CHOISIR DE VIVRE au Studio Hébertot jusqu’au 18 avril. D’après le livre éponyme de Mathilde Daudet, adaptation Mathilde Daudet et Franck Berthier, mise en scène Franck Berthier, avec Nathalie Mann.