Chronique: L’Art de Suzanne Brut au Théâtre Les Déchargeurs

 » Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art, il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L’art est un personnage passionnément épris d’incognito ». Jean Dubuffet dans, L’Homme du commun à l’ouvrage.

 

Un monologue poignant et drôle

 

Enfermée dans un couvent du Périgord, occupé par les Allemands, Suzanne la nuit venue, rôde dans la grange, en quête de résidus de vieux pots de Ripolin. Elle mélange la peinture avec des herbes, des fleurs voire des pierres, des débris qui lui permettront d’obtenir des couleurs.

Les Allemands ont réquisitionné le couvent car on est en pleine période d’occupation, dans les années 40. Il y a d’autres folles que l’on a cloîtrées, êtres inutiles dont on n’a que faire. Les vivres manquent mais ce n’est pas la préoccupation première de Suzanne qui n’a qu’une pensée en tête, trouver des « bois » pour peindre ses interlocutrices, Sainte Jeanne et la Vierge Marie dont elle ne cesse de faire le portrait. Sainte Jeanne vient volontiers lui faire la causette. Elle est plus craintive avec Marie qu’elle aime dévotement. Elle la pare de manteaux de couleurs, « parce que ça je le sais, mes peintures sont comme un baume, un baume sur les plaies ». Muette et pourtant, très bavarde à l’intérieur, elle crée, avec tout ce qu’elle a autour d’elle, instinctivement et inlassablement. Elle peint et dépeint avec ardeur, son monde aux couleurs vives, pour tenter d’oublier l’inoubliable.

On pense à ces femmes géniales comme Camille Claudel, enfermée à l’asile de Montdevergues ou à Séraphine de Senlis ( merveilleusement incarnée au cinéma par Yolande Moreau), femme de ménage chez des notables dont on découvrira les incroyables peintures aux pigments chatoyants.

Suzanne s’inscrit, sans le savoir, dans le courant de cet art si sensible et parfois dérangeant, que Jean Dubuffet nommait l’art brut. Artistes habités, enthousiastes et incompris.

Michael Stampe nous raconte l’histoire de cette artiste naïve dans un texte tout à la fois drôle et poignant. Un monologue, tout en subtilité, qui nous plonge dans les pensées de Suzanne, nous faisant découvrir son histoire et le drame qui l’a conduite dans cet endroit.

 

Une mise en scène efficace

 

La mise en scène de Christophe Lidon est extrêmement sobre mais cependant, très efficace. Suzanne se tient là, devant nous, solide et terrienne,entre la chaise et le lit qui lui permet de cacher ses planches avec ses extraordinaires peintures afin que le médecin du couvent, qui a su les repérer, ne les lui vole pas toutes. Le piédestal sur lequel elle se tient, sert de support à des projections colorées, permettant ainsi d’appuyer toutes les émotions que la comédienne nous fait partager.

Magnifique et poignante Marie-Christine Danède, qui interprète Suzanne. Tout est dans la mesure, la subtilité, dans l’évocation. Chaque geste nous fait comprendre le dénuement extrême de cette femme, sa fragilité psychologique mais aussi cette force qui la sublime quand elle crée. La voix de la comédienne sait adopter un certain phrasé qui fait exister cette femme simple, naïve mais admirable.

Pendant le temps de la représentation, nous avons le sentiment d’avoir vécu un moment de grâce.

MERCI POUR CE MOMENT TOUT EN DELICATESSE !!!

 

L’ART DE SUZANNE BRUT au Théâtre Les Déchargeurs jusqu’au 23 décembre

de Michael Stampe, Mise en Scène: Christophe Lidon, avec Marie-Christine Danède.

 

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