Chronique: L’Oiseau vert au Théâtre de la Porte Saint-Martin

L’OISEAU VERT au Théâtre de la Porte Saint Martin jusqu’au 12 juin. Pièce du vénitien Carlo GOZZI, créée en 1765. Mise en scène de Laurent PELLY, Traduction d’Agathe MELINAND.

 

Il était une fois, voilà plus de dix-huit ans, un roi vaguement dépressif, Tartaglia qui partit à la guerre. Sa mère, la cruelle reine, Tartagliona, en avait profité pour enterrer sous l’évier des cuisines du château, sa belle-fille Ninetta qui avait mis au monde deux jumeaux, Barbarine et Renzo. Elle avait demandé à Pantalone de se débarrasser des deux enfants. Celui-ci n’en eut pas le coeur et les emmaillota dans  » vingt-quatre épaisseurs de toile cirée  » avant de les jeter dans le canal.

Recueillis par un couple de charcutiers, Truffaldin et sa femme, ces enfants grandissent en devenant épris de « fausse philosophie » et confits en discours raisonneurs et phrases creuses. Ils seront amenés à quitter la maison de leurs parents, tout en dédaignant leur mère adoptive. Ils rencontrent alors la statue du philosophe, dotée du pouvoir de la parole, qui va leur donner  une pierre capable de transformer leur destin. Oublieux de leur origine misérable, ils se retrouvent piégés par la vanité.

Ils apprendront ainsi à se dégager des enseignements spécieux de la philosophie moderne et de leur fatuité qui les ont amenés à confondre amour propre et amour de soi et des autres.

 

Le merveilleux prend ses distances avec lui-même

 

Les personnages appartiennent en partie à la commedia dell’arte mais ils sont aussi issus de nos représentations contemporaines comme la Reine qui renvoie à la sorcière de Disney, le Roi, figure d’un jeu de cartes, ou encore de l’univers d‘Alice aux pays des merveilles. Les pommes chantent, l’eau danse, des jumeaux pauvres sont métamorphosés en un instant avec des habits princiers, des statues parlent et deviennent humaines, l’épouse du roi croupit sous un évier. Un oiseau vert se transforme en prince… La féérie est là mais elle ne cesse de se moquer de ce genre. Tout passe d’un style à l’autre. La Reine mère, Cruella aux cheveux blancs, femme araignée qui a ourdi la mort des jumeaux, ses petits enfants, s’exprime d’une voix grinçante tout en lâchant quelques vulgarités. Le Roi, Tartaglia, burlesque, désarticule son corps, adopte des poses affectées et précieuses, en proie à des sentiments toujours outrés.

 

Exhibition de la théâtralité

 

La magie se donne, en effet, à voir puisque sur les côtés du plateau, des techniciens en noir, actionnent toutes les poulies. Une sorte de plateau ondulé permet la représentation de zones lointaines ou proches. Parfois ses bords relevés font découvrir l’espace inférieur où croupit la reine. Le décor sert également le comique. Des accessoires-personnages se jouent de nos références. Derrière des statues parlantes, l’éclairage laisse voir le corps du philosophe assis sur une chaise et fumant une pipe. Le merveilleux opère alors que le genre prend ses distances avec lui-même et se plaît à le parodier. Les personnages quittent la scène quand ils ont fini.

 

C’est vif, cocasse mais aussi touchant. C’est plein de ruptures puisque le surnaturel se mêle au prosaïsme. La troupe de comédiens est d’une qualité remarquable. Marilu Marini campe une Reine mère inoubliable mais tous sont excellents.

 

SPECTACLE D’UNE GRANDE BEAUTE, DERAISONNABLE, PROTEIFORME ET MAGIQUE

 

L’OISEAU VERT au Théâtre de la Porte Saint Martin jusqu’au 12 juin. Pièce du vénitien Carlo GOZZI, créée en 1765. Mise en scène de Laurent PELLY, Traduction d’Agathe MELINAND.