Chronique: Bluebird au Théâtre du Rond-Point

Bluebird est une des premières pièces du dramaturge anglais Simon Stephens. Ecrite en 1998, cette pièce a été très remarquée au Festival des jeunes auteurs du Royal Court à Londres. S’ensuivront de nombreuses pièces comme Le Curieux Incident du Chien pendant la Nuit (jouée au Théâtre de la Tempête, la saison dernière, voir chronique sur notre site).

Une construction circulaire

Au volant de son taxi, une Nissan Bluebird, Jimmy parcourt les rues de Londres, et partage des tranches de vie de ses « charges nocturnes » comme il les appelle. La nuit ouvre un monde parallèle dont on découvre quelques facettes : jeune prostituée, père brisé,caïd, enseignante en mal d’enfant tout près de la rupture, videur de boîte de nuit.. Tous ces êtres en marge de la société se livrent dans l’habitacle de la Nissan Bluebird. Le temps du trajet, Jimmy libère les paroles, soulage les pleurs ou le désarroi, voire désamorce la violence et en même temps, livre quelques bribes de sa propre histoire. En effet, tous ces clients et toutes leurs histoires constituent un moyen de nous ramener au destin singulier de Jimmy.

Jimmy, remarquablement interprété par Philippe Torreton dont on ne voit d’abord que les yeux dans le rétroviseur, apparaît d’abord comme un homme discret, ne lâchant rien sur lui, à l’écoute de ses clients. Au fil de la nuit, à l’occasion des mêmes questions qui se répètent, de la part des clients, les réponses de Jimmy vont se développer, les pièces du puzzle vont se mettre en place pour reconstruire son drame personnel. Ce soir-là, il poursuit vers une direction qui n’appartient qu’à lui et qui le mènera vers sa femme Clare qu’il n’a pas vue depuis 5 ans, depuis l’accident de leur petite fille. Ce n’est plus le chauffeur de taxi, c’est l’homme qui retrouve la femme qu’il a aimée et qu’il aime toujours et tout alors fait sens. On découvre ce qui les a séparés mais qui les unit tragiquement.

Une scénographie audacieuse

Claire Devers, réalisatrice de cinéma, dont c’est la première mise en scène pour le théâtre, a imaginé une scénographie dont la magie opère immédiatement sur le public. Des grillages évoquant l’univers urbain, une authentique Nissan Bluebird sur le plateau et un décor vidéo-projeté, En de longs travellings, on parcourt les rues de Londres, le quartier de Soho dont on reconnaît les devantures de bars, de sexshops… On se retrouve dans les coins les plus sombres dans une lumière un peu orange, celle des lampadaires. Le défi de mise en scène était de taille puisque tout se passe dans un taxi. Claire Devers a su faire de ce taxi, un personnage à part entière ou plutôt nous montrer que Jimmy et son taxi ne faisaient qu’un.

Des comédiens à fleur de peau

Philippe Torreton et Julie-Anne Roth se retrouvent de nouveau après avoir incarné Cyrano et Roxane. Il est bouleversant dans le rôle de cet homme meurtri qui, peu à peu, va fendre sa carapace. L’émotion est là, du début à la fin. « Le théâtre, c’est l’envie de dire quelque chose à quelqu’un » dit-il. En effet, le message est passé. Après nous avoir renversés dans Cyrano , il nous emmène de nouveau avec Jimmy. Chapeau bas Monsieur Torreton.

Julie-Anne Roth n’est pas en reste, dans le rôle de Clare, épouse et mère meurtries. Elle porte à la fois la haine, la douleur, l’amour mais aussi la résilience. Marie Rémond, Serge Larivière et Baptiste Dezergues incarnent toutes ces « charges » en mal de vivre avec succès.

UNE RENCONTRE A NE PAS MANQUER