Chronique : L’Abattage rituel de Gorge Mastromas

L’Abattage rituel de Gorge Mastromas, de Dennis Kelly, mise en scène de Maïa Sandoz

 

Dennis Kelly, jeune auteur britannique, écrit cette pièce en 2013. Il y évoque, sous forme d’un récit choral, la vie de Gorge, de sa conception en 1972, jusqu’en 2050 quand il a 80 ans. La pièce commence donc dans un passé que nous connaissons et nous projette dans l’avenir.

 

Une fable sombre et contemporaine

 

Gorge est un enfant gentil, un adolescent sympathique et un jeune homme honnête. Il fait toujours ce qui est convenable, du point de vue moral, mais Gorge fait toujours les mauvais choix parce que, justement, il est toujours guidé par une certaine éthique. A l’aube de ses trente ans, la vie de Gorge va prendre une autre tournure. Conseiller d’un homme d’affaires un peu fou, il fait la rencontre d’une « executive woman » qui lui propose un marché démoniaque : pousser à la ruine son patron en l’incitant à vendre son entreprise avec, en échange une forte somme d’argent et un avenir radieux dans le monde de la finance.

 

Histoire de Gorge: Métaphore de la société néolibérale

 

Gorge doit choisir: rester un être lambda ou devenir un homme de pouvoir cynique et arrogant. Quelle que soit sa décision, elle aura un prix. C’est alors qu’il entre dans le jeu du système capitaliste, ne s’embarrassant plus de rien. Il devient un monstre gangréné par l’argent, commettant les pires actions avec un parfait sentiment d’impunité, dépeçant tout avec jubilation et cruauté. La corruption et la corruptibilité pourrissent tout. Produit du libéralisme, Gorge est un monstre déconnecté de l’humanité.

Une pièce étonnamment drôle, un bijou d’humour noir

 

Malgré la noirceur et la férocité, cette pièce est en effet drôle et touchante. On passe sans cesse de la narration à l’action. Un choeur d’acteurs aux voix plurielles nous raconte le personnage de Gorge. Les genres théâtraux y sont mêlés tout comme le sont les codes de cette société à la dérive. Le burlesque côtoie le touchant.
Outre l’inventivité de la mise en scène énergique, dynamique, il faut rendre un véritable hommage au talent de tous les comédiens. Ils sont tous éblouissants. Nous connaissons déjà le talent Adèle Haenel mais ici, ils sont tous au diapason car tous apportent leurs personnalités. Il faut aussi souligner la présence d’un musicien dont la guitare enchante toute la pièce.
Et quand, à la toute fin, on découvre Gorge Mastromas vieillissant, pris au piège de ses mensonges, enfermé dans sa tour d’ivoire, on ne peut s’empêcher de penser à Orson Wells, dans Citizen Kane.

Vous avez jusqu’au 5 mai pour assister à un moment de théâtre d’une grande rareté et d’une grande intensité.

De Dennis Kelly, mise en scène de Maïa Sandoz